– Des milliers d’universitaires turcs, perçus comme hostiles au pouvoir par Erdogan, ont été limogés depuis le coup d’Etat raté de 2016. A l’approche de l’élection présidentielle du 24 juin, ils tentent de faire entendre leurs voix.
Le 1er septembre 2016, Gül Köksal, chargée de cours à l’université, était en séminaire avec des collègues pour préparer la rentrée lorsque sa vie bien organisée a basculé. Ce jour-là, cette brune combative et volubile, militante de gauche depuis toujours, a appris son limogeage. Son nom figurait sur une liste d’universitaires radiés après la tentative de coup d’Etat, survenue six semaines plus tôt, le 15 juillet. « Un ami a vu mon nom dans le Journal officiel, il m’a prévenue : “Tu es virée”, explique la quadragénaire. J’étais choquée et, à la fois, je m’y attendais. Je savais que dans le cadre de l’état d’urgence imposé après le coup d’Etat raté, ce genre d’acte hostile était possible. »
Le président, Recep Tayyip Erdogan, a qualifié ce putsch raté de « don de Dieu ». Après l’avoir attribué à son ancien allié, le prédicateur musulman Fethullah Gülen, exilé aux Etats-Unis, il en a profité pour déclencher une purge sans précédent de la société civile. Enseignants, écrivains, journalistes, défenseurs de la cause kurde, syndicalistes de gauche ont été évincés de leur travail et privés de passeport, pour certains condamnés, parfois emprisonnés, par une institution judiciaire « épurée », elle aussi, après le limogeage de près de 4 000 juges et procureurs. Depuis, 160 000 fonctionnaires ont été radiés, dont 5 800 universitaires.
Bien que domiciliée à Istanbul, Gül Köksal a enseigné l’urbanisme pendant douze ans à 100 kilomètres là, à l’université de Kocaeli, une ville industrielle des bords de la mer de Marmara. Pour elle, tout s’est arrêté ce fameux jour où son nom est apparu au décret-loi 672. Une liste plus qu’un décret, avec 2 346 universitaires désignés comme « suppôts du terrorisme ». Dix-neuf d’entre eux enseignaient à Kocaeli. « Tout est parti de notre université », insiste Gül. L’état d’urgence instauré après le putsch et resté en vigueur depuis, a permis, dit-elle, « l’épuration d’une classe entière d’intellectuels ».